samedi 1 janvier 2011

Chronique

volpa 33

D'où provient ce besoin de médire? Il est bien plu facile de conspuer sur vingt cing lignes le travail des autres que de produire soi-même quelques centaine de mots qui mis à la suite les uns des autres formeraient un semblant de texte intéressant. En quoi me vie d'étudiant pourrait avoir quoique ce soit d'exceptionnel? En quoi quelques allées et venues entre Valparaiso et Santiago mériteraient une description détaillée? Partir le matin, attraper un micro place Echaurren après avoir acheté un empanada pino à la boulangerie en prévision du déjeuner —quatre cent cinquante pesos, contre neuf cents à la capitale—, descendre vingt minute plus tard place O'Higgins, traverser l'avenue Pedro Montt, entrer dans le terminal de bus. «Santiago, ida y vuelta, por favor.». Siège vingt et un, toujours siège vingt et un, de toute façon il est toujours libre. Cinq mille cent pesos. Une heure quarante cinq plus tard, si la circulation a été bonne, descente au terminal de Santiago pour descendre plus profond encore vers le métro. Ligne une jusqu'à Baquedano. Bondé, chaud, moite et malodorant, le métro quoi. Ici la lecture, si on dispose d'assez de place pour tenir un livre devant soi, est un bon moyen d'échapper aux regards de la foule, ses conversations, même si elles sont tenues dans une langue que l'on ne comprend que très mal, sont d'un ennui qui ne rend l'indiscrétion que plus honteuse. Le métro caractérise les villes que leur trop grande taille rend invivable. Santiago, Londres, Paris... Lyon fait peut être exception quoi que je n'y ai pas séjourné assez longtemps pour prétendre avoir pu y vivre. Le métro de Valparaiso, lui, n'est qu'une imposture. Il n'est là que pour assurer à Viña del Mar une liaison à l'image de son standing propret que l'utilisation des microbus cahotants ne fait que ternir. Mais revenons à ma vie de stagiaire sans statut en Amérique du Sud. À Baquedano on change pour la ligne cinq qui au bout de trois stations permettra d'entrevoir la lumière du jour. Avec un peu de chance la rame ne sera pas trop bondée et il sera possible de s'assoir. Sur le sol. S'assoir sur un siège impliquerait l'obligation bien trop gênante de devoir céder sa place à un vieillard. Ce n'est pas tant que la politesse me manque, que je n'ai aucun respect pour l'âge canonique, ou bien que je ne comprend pas les idéogrammes pourtant très clairs représentant un homme recourbé, une canne à la main. C'est justement là mon problème. Ces affichettes bien qu'internationalement reconnues sont obsolètes! Il n'y a plus de vieux avec des cannes, du moins pas dans le métro. Comment feraient-ils pour donner les coups d'épaules nécessaires pour se frayer un passage à travers la foule si quelqu'un avait la bienveillance de leur laisser sa place assise? Car si la courtoisie fonctionne avec un siège, elle s'arrête belle et bien là. Et de tout façon, il est impossible pour moi de me décider à laisser ma place. Cette dame, par exemple, le prendrait mal si je lui proposait, les femmes sont susceptibles à propos de leur âge. Et lui alors? Non, il est bien trop jeune, ce n'est pas parce qu'il est presbyte et grisonnant qu'il est bon pour l'hospice. Les genoux flageolants, le crâne lisse dont les trois cheveux font office de vétéran sur un champ de bataille lunaire, un gilet dont les poches sont toutes distendues, je tiens mon homme; toi tu vas t'asseoir sur mon siège tout chaud! Regard circulaire, personne ne l'a repéré. Attention tout de même à ne pas heurter le front de ma voisine d'en face au cas ou elle serait prise du même besoin irrépressible que moi d'être en paix avec sa conscience. Trop tard, il est déjà descendu. Les vieux aujourd'hui choisissent avec soin leur trajet dans le métro : il faut qu'il y ait peu de monde, et encore ce n'est que pour une station. Enfin, après ce dilemme moralisateur intérieur, on descend de la rame pour emprunter la passerelle qui mène à l'entrée du campus. Ensuite une rapide entrevue avec mon tuteur, où dans un baragouinement oscillant entre un espagnol maladroit et un anglais trop dépourvu de vocabulaire technique, j'essaye de comprendre ce que j'aurais à faire, ou plutôt ce que je n'aurai pas à faire. Plus tard ce sera d'interminables pliages d'éprouvettes métalliques au laser, dans un laboratoire minuscule, vétuste et totalement dépourvu de système visant à protéger l'opérateur, en d'autre mots à m'éviter de me faire griller la peau si le rayon venait malheureusement à se refléter sur une partie de l'éprouvette que j'aurais omise de recouvrir avec du spray carbone. Pendant ce temps, où je serais concentré dans mes manipulations répétitives, Manuela, une post-doc roumaine, qui ne travaille absolument pas avec moi —nous nous partageons juste l'utilisation du laboratoire—, viendra, dans une de ses tentatives bien trop insistantes pour s'assurer que je vais bien, me faire sursauter de peur. Le charme que j'ai pour lui trouver lors de notre première rencontre s'est bien vite envolé, soufflé par son dévouement oppressant, ses méthodes pointilleuses et ses tentatives infructueuses de m'y convertir, le tout peu mis en valeur pas une maigreur cadavérique peu assortie à sa pâleur de rousse. Je lui glisserai tout de même un la revedere amical en la quittant. Enfin le soir, des bourdonnement pleins les oreilles, trajet retour; métro toujours plus bondé et arrivée à Valparaiso pour voir le soleil se coucher alors qu'on ne l'a qu'entr'aperçu. Est-ce que c'est ce genre de vie qui me porte à rêver qu'un jour j'ouvrirai une page de traitement de texte vierge et j'y taperai les mots suivants : «Aujourd'hui j'écris les premiers mots de mon oeuvre.».