samedi 5 janvier 2013

Le traîneau-échelle


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Je l'ai d'abord regardé du coin de l’œil, en faisant la vaisselle, mais j'ai bien écouté. Ensuite j'ai cherché le texte sur internet, par fainéantise. Je n'ai rien trouvé et j'ai fini par le recopier. On devrait toujours recopier les textes qu'on aime, tout particulièrement quand on ne peux pas les lires. Merci Pauline. 

"Cette nuit là dans les bois, le rossignol saigna tellement qu’il fit frémir les cœurs d'amour fait au couteau sur le tronc des arbres. S'il me fallait mourir un jour je voudrai que ce soit d'amour. Je partirai sur le traîneau-échelle tiré par le grand coq, montant ver le soleil, traversant l'arc-en-ciel de tous les feux d'artifices du monde, fleur multicolore clouée à la nuit d'un voyage, le dernier, celui des sept rennes et des petits enfants brusquement devenus grands. J'aime toute cette terre grasse et velue de tant d'herbe et de tant d'arbre, fendue de mille sillons, courue de petits hommes, grands et méchants, comme l'orage d'un cœur vendu à la sauvette sur l'étale du cinquième marchand de la foire à la ferraille. J'aime toute cette terre qui tourne à l'envers de la mémoire du temps. 
Mon traîneau, notre traîneau, puisqu'alors tu étais avec moi, si près qu'aucun courant d'air ne passa entre les barreaux de l'échelle, traversa les nuages, la terre disparue. Je ne me souviens plus combien d'années se sont écoulées sur ce traîneau; on ne parlait jamais du temps car il n’existait pas. Le traîneau-échelle s'est arrêté devant la porte ouverte du paradis perdu. Et nous sommes descendu, séparé, l'un après l'autre. Le coq-cheval du grand voyage agonisait et pour fêter cela, du paradis, musique en tête, les saints sont apparus, sérieux et droits comme les mathématiques. Le temps alors se mit à exister; j'étais perdu là, le jour du premier jour, au premier coup de fusil, à la première larme, au premier cri, à la première douleur. Les saints avaient construit la réalité, le coq-cheval mourut. La porte ouverte du paradis perdu s'est refermée derrière nous, un battant sur toi, l'autre sur moi. Et toute l'horreur endimanchée de ce jour de fête m'est apparue, et tout se mit a tourner, le soleil, les heures, les roues, les têtes portées qui s'en allaient tomber dans un panier d'osier. Tout était structuré, tout portait un nom. On m'appela fou, et l'argent apparu, l'eau désormais pouvait éteindre le feu, et le feu dévorer les maisons. Ce fut le temps des hommes, il y eu le dix-septième parallèle, et les salaires de misère noire.

Les saints commandent aux hommes et les hommes les écoutent. 

Je ne t'ai jamais revu, peut-être es-tu partis sur une montagne, là où naissent les rivières de l'arbre bleu. Mais un jour viendra, j'en suis sûr, où des hommes libres redécouvriront la beauté et l'amour, redécouvriront qu'ils sont hommes et fait pour vivre heureux."
Jean-Pierre Thiebaud