mardi 23 août 2011

Porculero



   Ces gens nus sur la plage de Zarautz donnant des bains de soleils à des parties de leur corps que la pudeur nous fait dissimuler sous des bouts de tissus synthétiques et hydrophobes, ces corps dorés et sablés des épaules jusqu'à la raie de fesses, allongés dans des positions qui évoquent l’alanguissement post-coïtal, toisent les vacanciers étrangers par l'insolence de leur démarche chaloupée. Un couple, nu, s'insinue à travers la foule luisante et humide des baigneurs. La femme, aux formes girondes, la toison de son sexe aussi broussailleuse que la barbe de son compagnon, rayonne. Ce dernier cabriole dans l'eau basse, puis, prenant par la main son amie, court vers les vagues. Ils plongent dans l'océan de concert et la dernière chose que je vois disparaître dans l'écume est le cul rebondi et charnu de la jeune femme. C'est cette dernière image dont je veux me souvenir lorsque je repense à cette semaine passée en Navarre.
   Le TGV Hendaye - Paris Montparnasse me traîne vers l'est, austère, tempéré et calme, tout en contraste avec la culture hispanique qui m'a tant séduite. Le rythme de vie étalé et nonchalant est la coutume la plus difficile à assimiler lorsqu'on arrive. C'est moins la chaleur écrasante que le soleil à son apogée qui force à se réfugier à l'intérieur, volets baissés, allongé, plus ou moins accompagné, de la fin du repas de midi — pris vers quatorze heure au mieux — jusqu'à seize heure environ. La météo annonce la température des prochains jours, vingt-deux degrés Celsius au minimum, trente-huit à l'ombre au maximum. Vale, on s'habillera un peu moins, on sortira un peu plus tard.
   À Tudela, bien que situé en pays Navarre, la culture basque est omniprésente que ce soit à travers les noms des villes en basque et castillan, les cartes des restaurants en deux langues ou encore les pinchos remplaçant allègrement les trop populaires tapas. Les pinchos se dégustent à midi, au sortir du travail. Il est de coutume d'enchaîner les bars en prenant un pincho — qu'il faut choisir parmi un choix parfois dithyrambique de toasts généreusement couverts de jambon fumé, d’œuf, de poivron ou courgette frits, de beignets d’artichauts et bien d'autres encore — accompagné d'un verre de vin ou d'une caña, un demi servi dans un verre cylindrique. La culture du bar est bien plus ancrée que chez nous. Un village aussi petit soit-il disposera d'au moins deux bistros, pour assurer le bon fonctionnement de la tradition précédemment décrite. Ainsi, pour que tout ces troquets ne mettent pas la clé sous la porte faute d'habitués assez régulier — tout particulièrement en ces temps de crise, on pratique la tournée de bars, en buvant debout et vite, quitte à prendre des demi-verres ou à laisser la fin de sa bière sur la table en partant. Lorsqu'il s'agit de manger ou de boire le vocabulaire espagnol est extrêmement compartimenté, laisse pantois et on s'y emmêle facilement les pinceaux : vermouth, almuerzo, cena, cubatas, etc. Ce qui est sûr c'est que les espagnol(e)s aiment la bouffe et la bonne ainsi que le bon vin. Ils se sont donnés, à travers des siècles de tradition gastronomique, les moyens de bien manger et bien boire. Il n'y a qu'a voir l'échoppe du Tuvinyco, une pléiade de jambon pendant, diffusant un parfum qui enchante les narines dès l'ouverture de la porte. on contourne le bateau sur lequel sont dressés les produits maritimes pour sillonner les rangées de bouteilles de vin du monde entier mais surtout, et heureusement, d’Espagne. Une petite soif pendant la visite? On vous apporte une bière fraîchement tirée, c'est pour la maison. Le choix est trop dur à faire? Rien de tel que de déguster la bouteille qui nous fait hésiter autour d'une assiette de jambon ibérique et du fromage de brebis bien piquant, pour faire le tri parmi toutes ces informations qui saturent chacun de nos sens. Accompagné de ces mets, les vins espagnols se révèlent sous leur meilleurs jour. Ils sont à l'image du peuple qui à su sublimer cette terre aride pour en extraire un nectar fort, savoureux, aux parfums capiteux, à la robe profonde et au goût chaleureux, puissant et entier. Entier de la poignée de main jusqu'au fond du regard, de la chaleur dans la voix jusqu'à cette façon de prendre son interlocuteur à partie dans une conversation, la main sur l'épaule pour lui demander des nouvelles. On sort facilement jusqu'à minuit passé même en semaine et les rue sont extrêmement animées, excepté pendant la siesta. La télévision est un autre indicateur du décalage horaire régnant en Espagne. Les premiers films du soir commencent vers vingt-deux heure trente, soit quasiment à la fin des nôtres, les matchs de foot — le football faisant office de religion en espagne, il est inconcevable de ne pas soutenir soit le Barça soit le Real, démarrent à vingt-trois heure en été.
   Dans l'atmosphère climatisée et somnolente du train, je me demande comment je vais oublier l'immensité du désert des Bardenas et son relief hors du commun, son soleil orange transperçant les nuages au couchant et venant s'écraser sur des falaises zigzaguant à travers une plaine à laquelle même les champs de blé ne parviennent pas à enlever son caractère sauvage, les jambons de Salamanca suintant sous la chaleur des soirées que les rasades de gin tonic ne parviennent pas à rafraîchir. Et les amis resté là-bas. Surtout les amis resté là-bas.

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